Amis lecteurs, bonjour !
En plein débat sur la loi de bioéthique, on pourrait espérer que « les médias » (terme qui devient assez péjoratif il est vrai) soient à la hauteur des enjeux pour les couples, les hommes, les femmes et les enfants concernés par la procréation médicalement assistée. On pourrait attendre qu’ils jouent leur rôle dans une démocratie mature en délivrant une information objective et documentée, qu’ils fassent œuvre de pédagogie, surtout sur des sujets aussi complexes qui ne se prêtent guère à la simplification. Hélas, mille fois hélas, l’audimat a ses raisons que la raison ignore, et c’est une nouvelle fois avec effarement que nous avons suivi l’émission « zone interdite » dimanche dernier, consacrée aux tests ADN et à la fin des secrets de famille.
Peut-être avez-vous regardé ce programme de haut vol (c’est en replay si vous en avez le courage), avec des journalistes qui ont opté pour des cas très représentatifs des dons de gamètes pratiqués actuellement, jugez-en :
- un homme issu d’un don de sperme a épousé une femme issue également d’un don de sperme qu’il a rencontrée dans le cadre d’une association militant pour la levée de l’anonymat. Devant les caméras, ce militant de la cause des enfants nés d’un don fêtait en toute simplicité son anniversaire avec son donneur, retrouvé grâce à des tests ADN pratiqués à l’étranger.
- Voici encore une jeune femme, à qui le don de gamètes avait été caché alors que toute sa famille était au courant des conditions de sa conception (on devine combien la révélation du don a dû être difficile), et qui, via des tests ADN pratiqués à l’étranger, a retrouvé son « père biologique ». Depuis, elle recherche des potentiels « frères et sœurs biologiques », mais aussi des cousins, des oncles, des tantes… Un groupe whatsapp « family seeds » (famillicide ? Allô Dr. Freud ?) a même été créé pour échanger leurs photos de famille.
- Outre-Atlantique, c’est encore plus pimenté : voici un donneur de sperme qui a donné deux fois par semaine sa semence pendant un an. Ces dons ont notamment profité à un couple de femmes qui a eu une fille. Cette dernière, depuis, a grandi et a cherché son donneur. Entre temps, le couple s’était séparé. Voici le donneur retrouvé, qui tisse quelques liens avec sa fille avant de tomber amoureux de sa mère. L’histoire est « belle » (?!) et la morale est (presque) sauve : les « parents véritables » de la petite fille se retrouvent unis par le destin, tout rentre dans l’ordre…
Soyons tout de suite très clair : loin de nous l’idée de porter un jugement sur le vécu de ces hommes et de ces femmes en quête de leurs origines génétiques et qui ont accepté de se livrer devant des caméras, en France ou ailleurs. Souvent (mais pas toujours), la vérité leur a été cachée. Leur questionnement semble suffisamment lourd et pénible pour que l’on trouve éminemment respectable leur besoin de rencontrer des membres de la « famille biologique ». Ce n’est donc pas leur témoignage qui nous a heurté (et d’ailleurs à quel titre pourrions-nous les juger ou les critiquer ?!), mais bien plutôt le traitement journalistique qui en a été fait.
Car pour ceux qui envisagent de se lancer dans un parcours de dons de gamètes, qu’ils soient donneurs ou bénéficiaires du don, ce reportage laisse clairement penser que l’enfant qu’un donneur ou une donneuse peut contribuer à faire venir au monde va forcément venir sonner à sa porte pour fêter ses prochains anniversaires et semer une belle zizanie dans sa propre vie de famille. Et au passage, tiens, c’est bien fait pour les couples infertiles ou stériles qui ont joué avec le feu. Ils n’avaient qu’à suivre ce que leur dictait la nature (comprendre « Dieu » bien sûr, mais « la nature » ça fait plus dans l’air du temps… Les anti-PMA peuvent aussi faire du green washing…). Ces couples auraient évidemment dû adopter un chien plutôt que de faire de la PMA pour assouvir leur désir d’enfant (= désir de consommateur si en plus ils sont allés à l’étranger en payant plein pot les soins reçus). On vous l’avait donc bien dit ! L’enfant sait, lui, qui sont ses vrais parents qu’il va forcément rechercher plus tard : ceux désignés par des tests ADN…
Là, évidemment, on ne peut que s’énerver devant sa télévision (même s’ils avaient plutôt envie de dormir comme des loirs, les canards étaient remontés comme des coucous). D’abord, on fera remarquer aux experts auto-proclamés de la psychologie enfantine que si l’homme des cavernes n’avait jamais joué avec le feu, l’humanité n’aurait guère avancé. Les couples que nous sommes n’ont fait qu’avoir recours aux techniques de procréation médicalement assistée disponibles à ce jour, et en toute légalité en France. Ensuite, laisser imaginer aux téléspectateurs que le don de gamètes implique nécessairement un mal être existentiel chez les enfants nés du don, en quête de vérité génétique via des tests ADN, est on ne peut plus caricatural. Nous n’avons peut-être pas assez de recul sur le don d’ovocytes, mais sur le don de gamètes en général, on observe déjà que tous les enfants ne réagissent évidemment pas de la même manière. Tous n’auront pas un besoin irrépressible de chercher un géniteur ou une génitrice, et aucun enfant né d’un don ne peut prétendre être le porte-parole de tous les enfants issus du don. C’est d’ailleurs vrai pour tous les individus qui portent en eux une différence : certains vivent sans questionnement particulier malgré leur histoire originale, qu’il s’agisse de leur conception, de leur enfance, de leur histoire familiale en général. Alors arrêtons de poser comme principe que les enfants issus d’un don ne peuvent vivre que dans le tourment le reste de leur vie.
Mais ce n’est même pas ce qui nous a le plus choqué dans ce reportage. Ce qui nous a fait bondir, c’est le poids des mots employés par les journalistes ou certains interviewés. Car à l’égard des donneurs, le reportage parlait bien de « père », de « filiation », de « famille », alors que ces mots ont un sens.
Non, il n’y a pas et il n’y aura jamais de filiation à l’égard d’un donneur ou d’une donneuse. La filiation, c’est un lien de droit entre un enfant et ses parents, ceux qui en ont la responsabilité, ceux qui vont l’élever. Parler de filiation à propos de liens génétiques est un non-sens, jamais le droit ne reconnaîtra ce lien pour régler un héritage ou une pension alimentaire et c’est heureux.
Et non, le père et la mère ne se réduisent pas non plus aux gènes. Pour cela, il y a un mot : géniteur ou génitrice. Et l’on peut être le père sans être le géniteur. On peut être la mère sans être la génitrice tout en étant la gestatrice, et parfois sans être non plus la gestatrice. Les expressions « père biologique » et « mère biologique » créent inutilement de la confusion.
Alors vous allez me dire, les icsi pari sont vraiment en plein déni. Ils veulent s’accaparer les termes de père et mère, preuve qu’ils ne sont pas bien au clair sur le lien tissé avec leur enfant : les canards veulent tout simplement gommer le don ou le minimiser. C’est vrai que ce serait tentant…
Et bien pas du tout ! Si nous sommes heurtés par ce qui, pour nous, est une erreur de vocabulaire, c’est parce qu’utiliser les bons mots est indispensable pour la construction de nos enfants, justement pour ne pas tout mélanger. C’est bien là une particularité des familles nées d’un don de gamètes. Plus que d’autres parents, nous devons armer nos enfants avec des mots. Des mots pour dire leur ressenti, car il ne faut évidemment pas nier la fragilité que peut créer un don de gamètes dans la construction d’un individu. Sans remettre le sujet sur le tapis tous les matins, il faut évidemment tenter d’expliquer, d’écouter, de recueillir la parole de nos enfants. Leur fragilité, il faut alors qu’il puisse l’exprimer, notamment sans craindre de blesser leurs parents, ce qui est un sujet dans nos familles. Tout cela suppose que l’enfant et ses parents aient dans leur arsenal les bons mots : « le donneur », « la donneuse », « le géniteur », « la génitrice ». Chacun est à sa place, dans un rôle tellement différent dans l’histoire de la naissance d’un enfant. Le donneur ou la donneuse ne sont pas alors le père ou la mère, ni même la « famille biologique ». D’ailleurs, entre nous, c’est quoi une mère « biologique » ? Y a-t-il plus de liens « biologiques » dans la gestation ou dans les gènes s’agissant de la maternité ? On voit bien que le mot « biologique » est trop flou pour les situations d’aujourd’hui. Nos enfants doivent donc être armés de mots pour identifier la place de chacun et éviter toute confusion des rôles qui nuiraient à tous : à l’enfant, dans sa construction ; au donneur ou à la donneuse, dans sa propre vie de famille, que tous doivent respecter ; et enfin à nous autres parents, dans le lien que nous tissons pour la vie avec nos enfants, pour les bons et les mauvais moments comme dans toutes les familles.
Nous en arrivons alors au sujet de la levée de l’anonymat du don de gamètes, votée dernièrement par l’Assemblée nationale, et dont nous avions très envie de parler sur ce blog. En imposant légalement la levée de l’anonymat, a-t-on vraiment pensé aux donneurs et aux donneuses de demain ? Nous sommes infiniment reconnaissants à l’égard de la belle inconnue qui a accepté de nous offrir ces petites cellules sans qui nos canetons ne seraient pas de ce monde. Nous lui devons notre infini bonheur, et jamais nous ne pourrons assez la remercier, quelles qu’aient été ses motivations. Mais même si nos canetons, plus tard, ont un besoin pressant de connaître leur génitrice, nous comprendrions parfaitement que « notre » donneuse, qui aura elle-même construit sa vie, n’ait pas du tout envie de voir nos enfants faire irruption dans son existence alors qu’elle n’a peut-être jamais parlé de cet acte altruiste à son entourage. La levée de l’anonymat qui est imposée aux donneurs et aux donneuses dès l’acte du don, et non pas simplement demandée aux intéressés au moment où l’enfant devenu adulte se questionne, est donc un vrai problème. Qui peut savoir, au moment où il est en âge de donner ses gamètes, ce que sera sa vie dans vingt ans, trente ans, ou plus ? Et ne peut-on pas craindre que ceux qui acceptent de donner demain dans ce contexte ne soient plus dans une démarche altruiste, mais plutôt dans le souhait de semer ses graines et ses gènes pour voir la tête de la récolte dans vingt ans sans les contraintes d’une filiation et d’une parentalité ?
Pourtant, et c’est bien là un rare mérite de ce reportage, la levée de l’anonymat qui est discutable dans son principe est nécessaire dans le monde tel qu’il est et non tel que l’on aimerait qu’il soit. Car avec ces tests ADN « sauvages » pratiqués à l’étranger, celui ou celle qui donne aujourd’hui ses gamètes ne peut plus se voir garantir son anonymat. Qu’un père, une mère, un frère ou une sœur fasse un test ADN à l’étranger pour « le fun » de connaître ses origines ethniques ou par goût de la généalogie, et nous voilà indirectement « fiché » par une société privée qui revendra ces informations à d’autres clients. Le législateur français est incapable d’empêcher la pratique des tests ADN à l’étranger. Les sanctions qui existent sur le papier restent très théoriques, et on ne va pas mettre tout le monde en prison pour test ADN illégal ! Alors autant prévenir les potentiels donneurs dès aujourd’hui des conséquences du don et organiser demain correctement la levée de l’anonymat. Un organisme institutionnel qui peut « canaliser » et recenser les informations de part et d’autre, avec des professionnels pour accompagner les personnes concernées, est finalement une bonne chose.
L’autre « mérite » de ces tests ADN sauvages est aussi de faire avancer les futurs parents dans leur réflexion sur le secret ou non du don à l’égard des enfants à naître. J’ai souvenir d’une discussion avec une collègue qui a donné naissance à ses enfants il y a plus de vingt ans grâce à un don de sperme. Sachant que nous allions envisager un don de gamètes, elle m’avait fait cette confidence : oui, ses enfants sont issus d’un don, et non ils ne sont pas au courant. A l’époque de ces dons, le discours médical consistait à dire aux parents de ne rien raconter aux enfants de leur conception, au risque de les perturber. Ma collègue n’avait alors aucun regret à ce sujet, et son argument pour me convaincre de garder le secret était de dire qu’il est inutile d’engendrer pour ses enfants un questionnement pour lequel ils n’auront pas de réponse. C’était même, selon elle, une position de confort des parents, qui se débarrasse du poids du secret sur le dos de leurs enfants. Aujourd’hui, l’argument ne tient plus. Nos enfants, même conçus dans un système d’anonymat du don, pourront sans doute connaître leur donneur ou leur donneuse, et inversement d’ailleurs, par l’effet des tests ADN sauvages qui se répandent à une vitesse vertigineuse (ça fait froid dans le dos). Il faut tous s’y préparer. Les secrets de famille autour de la conception ne tiendront plus, au-delà des couples en PMA. N’oublions pas que ces tests vont aussi révéler des infidélités, y compris dans les familles on ne peut plus traditionnelles…
Notre choix, qui est celui de quasiment tous les parents d’aujourd’hui d’enfants nés d’un don, a donc été de ne jamais en faire un secret, un secret qui sera forcément destructeur (qui supporterait de découvrir qu’il a vécu dans le mensonge par le fait des personnes en qui il avait le plus confiance ?!) et d’ailleurs impossible à garder. Dès les premières heures de vie de nos enfants, en les accueillant dans nos bras, nous leur avons parlé. Nous leur avons dit combien nous étions heureux de les voir venir au monde, de les tenir contre nous. Nous leur avons dit combien le chemin avait été long avant cette rencontre merveilleuse, nous leur avons dit que des petites graines nous avaient été données pour être ensemble à jamais.
Pour nous, la transparence n’est pas totale : nous ne parlons pas du don à tout un chacun spontanément. Nous en parlons à nos enfants et d’abord à eux car c’est leur histoire. C’est à eux de décider à qui ils souhaitent « révéler » les conditions de leur naissance. Pourquoi d’ailleurs leur cacher une si belle histoire, une histoire d’amour ?
Pour l’anecdote, en feuilletant un livre sur les monuments de Paris, lorsque nous avons expliqué à notre caneton aîné (qui a un peu plus de deux ans) qu’après le voyage au pays des graines à bébé, nous avions allumé une petite bougie à Notre Dame pour espérer le voir venir au monde, il nous a répondu très spontanément : « oh ben merci, c’est très gentil ! » Nos canetons sont évidemment trop petits pour tout comprendre de leur conception, mais ils savent déjà qu’ils ont été très désirés, très attendus, et qu’on les aime viscéralement. Et cela, ça compte pour la construction d’un enfant.
Alors M6, vous venez quand à la maison pour que l’on vous parle de notre histoire et du choix des mots ? Cela évitera à tous nos enfants issus d’un don, lorsqu’ils parleront de leur conception, de s’entendre dire « ah ouais alors ce n’est pas ta vraie mère ? » Merci pour eux. Pour nous, plus la peine de prendre des pincettes, cela fait dix ans que l’on entend des bêtises blessantes sur l’infertilité, on est (presque) habitué…
Bises des canards.